Sunday, May 08, 2011

Ismaïl KADARE - Le pont aux trois arches



Ismaïl KADARE - Le pont aux trois arches

Roman traduit de l'Albanais par JUSUF VRIONI

Editions Fayard - Collection le livre de poche

ISBN 978-2-253-13455-8


Ce très joli conte aux lectures multiples nous emmène au 14ème siècle, en Albanie, sur les rives de l'Ouyane. L'Ouyane est alors sous le monopole de la compagnie des bacs et radeaux, dont le passage rythme la vie de la population locale.

C'est l'Ancien ordre, celui des petits seigneurs qui morcellent ce territoire dangereusement proche de l'empire ottoman, celui où l'homme ne brave pas les contingences géographiques, et où les rapsodes nourrissent l'imaginaire collectif de mille contes et superstitions.

Ce qui se passe ailleurs, à l'extérieur, n'est qu'un échos lointain, dont les signes se manifestent parfois? Des charrettes qui transportent l'Asphalte.

La machination peut alors commencer? De mystérieux personnages, que l'on sent missionnés par l'imposant voisin, viennent proposer de construire un pont, ce que le seigneur concerné accepte.

Des évènements étranges entourent la construction de ce pont. Un épileptique qui fait une crise, la nuits une main ténébreuses détruit ce qui est fait le jour, et ces évènements étranges sont les symptômes de la lutte entre les tenants de l'ancien ordre (la compagnie des bacs et radeaux) et du nouvel ordre (les constructeur du pont).

Tout s'accélère. Des glaneurs de contes utilisent une ancienne légende (et commettent un meurtre, un sacrifice) pour assoir la suprématie des bâtisseurs de pont.

Mais un pont c'est aussi le symbole du passage, du changement. Vers un ordre nouveau, qui circule et palpite, fait de routes, de foires et de ponts, de mouvements. Vers la domination turque qui plane comme une ombre croissante.

Comment te transformeras-tu en Asie,
Toi qui es si belle, mon Arbérie?

Une très belle histoire.


Citation:
"Le voilà" me dit une voix étouffée.
Il était là, blanc comme un masque, badigeonné de chaux, et l'on ne distinguait que son visage, son cou et une partie de sa poitrine. Le reste du corps, les bras, les jambes, disparaissait dans le mur.
Je ne parvenais pas à détacher mes yeux de l'emmuré. Partout se voyaient des traces de mortier frais. Un pan de mur avait été ajouté pour envelopper la victime (un corps emmuré dans les piles mêmes du pont en affaiblit la construction, avait dit le glaneur de contes). Deux madriers fixés au-dessous du mort servaient de fondement au pan de mur ajouté.
L'emmuré semblait avoir poussé dans la pierre. Ses racines, son ventre, ses jambes, son tronc étaient à l'intérieur. Seule émergeait une toute petite partie de son corps.
"Quand? Demanda la voix éteinte d'un nouvel arrivé.
- Un peu après minuit.
- Il a beaucoup souffert?
- Non, pas du tout."

La rumeur se répandait alentour le jour et la nuit, recouvrant le pont d'un mystère toujours plus épais. La nuit, il dressait, noire sur la rivière, son unique arche , qu'on lui avait blessée cruellement. De loin, les endroits réparés, le mortier et la chaux fraîche qui les recouvraient faisaient penser aux pansements d'un membre fracturé. Avec ce corps mutilé, le pont était sinistre.

1 comment:

Krol said...

Oh comme j'avais aimé ce conte, lu il y a déjà... de nombreuses années. Je l'ai, ensuite, offert souvent à des amies.